SOMMAIRE
1. Kleber
2. Le centre de Kléber
3. CONVOIS DE 1848
4. Les Maires
5.COLONIE AGRICOLE 1848-1906 -- 1906-1962
EXTRAIT DE L INDICATEUR GENERAL DE L'ALGERIE PAR VICTOR BERARD - 1867
- Ce village créé en 1848 au moyen d'émigrants parisiens, est situé à 29 kilomètres d'Oran, dans une position aride, qui lui fit donner le surnom de" Colonie de la Soif".
Aujourd'hui, Kléber est abreuvé par une source, amenée de 300 mètres du village, par des tuyaux en poteries, et ,qui donne 11,52O litres d'eau par 24 heures, débités par une fontaine, dans un lavoir et un abreuvoir. Il y a aussi un bon puits à 8OO mètres du village.
Les plantations publiques consistent en arbres plantés sur les bords des rues et des places. Des essais importants ont été entrepris sur la culture du lin et de la moutarde blanche.
Les légumes y deviennent fort beaux. Il y a une église.
Population : 112 Français, 48 Étrangers, 20 Arabes.
Conférence de Karguentah - février 1906
Rapport officiel
Monographie de la paroisse de Kléber par Monsieur Molié - Curé de Kléber - Février 1906
INTRODUCTION -
Je n'ai pas la prétention de présenter ici un travail personnel, la monographie de la paroisse de Kléber a été faite récemment par un de nos jeunes et distingués confrères et a paru dans la semaine religieuse d'Oran et même, m'a t'on dit dans un grand journal catholique de la Capitale.
En géographie et en histoire, comme d'ailleurs dans toutes les sciences, il y a des faits, des détails et des principes que personne n'a le droit de changer. Dans cent ans comme aujourd'hui, le professeur de géométrie enseignera à ses élèves ce qui le célèbre Archimède enseignait aux siens il y a vingt et un siècles, sans pour cela être taxé de plagiaire, pas plus que le géographie qui, comme tous ses devanciers, placera les Pyrénées entre le France et l'Espagne, et l'Italie sous la forme d'une botte, au milieu des flots bleus de la Méditerranée et de l'Adriatique.
Pour ces même raisons, mon aimable confrère voudra bien me permettre de puiser largement à ses notes patiemment recueillies pendant son septennat à Kléber. Je comblerai quelques lacunes que j'ai constatées ; je supprimerai certains détails sans importance. Ce sera la deuxième édition, non pas corrigée, mais revue et augmentée de cette intéressante monographie.
Lorsque après la conquête, il a fallu fonder des villages pour recevoir les colons venu de France et les soldats qui, leur temps fini désiraient se fixer dans la colonie, on recourut souvent, pour la plupart, à des noms arabes d'une prononciation souvent très difficile ; pour d'autres, on fouilla dans nos gloires militaires, et il est certain que les noms glorieux de Lamoricière, de Nemours, d'Aumale, de Pélissier, de Chanzy, de Négrier, de Valmy, d'Inkermann et d'Arcole sonnent mieux aux oreilles d'un français et en disent plus long que les noms baroques et barbares d'Ain-Boudinar, de la Djidoia, d'Assi-Bou-Nif, de Boufarik et de Souk-el-Mitau.
Le centre dont nous avons à parler a reçu en naissant le nom de Kléber. Qu'était ce Kléber ? C'était le fils d'un maçon de Strasbourg, sa haute stature, son air fier, son allure martial, sa noble conduite et son honnêteté sans tâche, firent de lui un des plus grands généraux de la Révolution. Envoyé en Vendée, en Belgique et en Hollande, il bâtit les plus grands généraux : le Prince d'Orange, le Prince de Wurtenberg, le Prince Charles : il suivit Bonaparte en Egypte et lui succéda dans le commandement en chef. Blessé à Alexandrie, il remporta la bataille d'Héliopolis et s'empara du Caire. En 1800, à l'âge de 47 ans, il tomba sous le poignard d'un fanatique nommé Solyman. Sa statue en bronze a été élevée en 1840 sur une des places de Strasbourg, comme son buste s'élèvera bientôt sur la place du village auquel il a donné son nom. Ce nom méritait de passer à la postérité.
Le centre de Kléber, situé dans la Province d'Oran, à 35 kilomètres de cette ville, sur ce promontoire qui sépare le golf d'Oran de celui d'Arzew, compte plus de 900 habitants. Placé sur un petit plateau, auprès du Djebel-Ourous, ou montage grise, à 154 mètres d'altitude, Kléber domine la plaine et le golf d'Arzew. Dans le lointain, on distingue les montagnes du Dahra, de Perrégaux, du Sig, du Tessaka, des Lions, le phare du Cap Ivi, la ville de Mostaganem et les villages de Mazagran, de la Stidia, de Port-aux-Poules, de la Macua, de St Leu, de Damesmes, de Ste Léonie et de Renan, ces deux derniers à 3 kilomètres. Plus près, les collines des Salines barrent l'horizon, 3 kilomètres séparent le village de la route nationale d'Oran à Mostaganem, ainsi que de la nouvelle ligne de l'Etat d'Oran à Arzew et de la station qui porte le nom de Renan-Kléber. Les deux importants villages de Saint Cloud et d'Arzew sont à 7 et 10 kilomètres. Le Djebel-Ourous qui sépare Kléber de la mer n'arrête qu'imparfaitement les vents violents de février et de mars. Les nombreux ravins qui s'ouvrent du côté de Christel, sur la baie d'Oran laissent passer une brise rafraîchissante, grâce à laquelle le village jouit d'un climat tempéré, les fortes chaleurs et les froids excessifs de l'intérieur y étant inconnus.
Par suite le terrain se prête à toutes les cultures du Tell, céréales et vignes surtout. A cause de l'abondance des sources, les fruits du Nord de l'Afrique y viendraient à maturité, si on avait soin de planter des coupes vents, roseaux et cyprès. Les derniers contre fort du Djebel-Ourous, encore en friche possèdent d'excellents pâturages pour la nourriture des nombreux troupeaux de boeufs, de moutons, de chèvres et de porcs. Partout, sur les montagnes et dans les ravins, on trouve des forêts de lentisques, d'arbousiers, d'oliviers, d'amandiers, de chênes-lièges, de hautes broussailles, du diss, du palmier nain, de l'alfa. Naguère le terrain portait de magnifiques plantations de vignes, mais actuellement, elles sont détruites par le phylloxéra.
Le territoire de Kléber est très riche en minéraux, il possède du fer, quelques filons de cuivre et du marbre en abondance. Le Djebel-Ourous renferme dans ses entrailles les marbres d'Ain Ouinkel, près d'Arzew, rose et rouge acajou, le porte-or et ceux de la montagne grise, au-dessus du village à 606 mètres d'altitude. C'est la carrière la plus importante, on y trouve jusqu'à 52 variétés de marbre, allant du jaune pâle et olivâtre jusqu'au rose et rouge le plus vif, de même que les marbres les plus précieux, comme la brèche africaine, le jaune antique, le jaune numidique dont de nombreux spécimens occupent une vitrine au grand séminaire d'Oran. A signaler aussi la brèche dorée dont le palais Agrippa, à Rome, présente de nombreux spécimens. Les Romains ont exploité les carrières de Kléber, et plusieurs savants affirment que de nombreuses colonnes de l'Antique Rome sont sorties des montagnes du Djebel-Ourous. De nos jours d'énormes blocs de marbres rouges sont expédiés en Amérique, principalement à New-York, l'hôtel de ville et le palais de justice d'Oran ainsi que plusieurs mairies et établissements d'Algérie possèdent des colonnes, escaliers, cheminées provenant des carrières de Kléber.
Au sommet de la montagne Grise, on a élevé de grandes constructions, chambres, remises et écuries, sur le point le plus élevé, derrière ces constructions, la famille Del Monte a fait édifier une gracieuse chapelle que l'on aperçoit d'Oran et des environs. Tout le carrelage est en marbre blanc, de très belles plaques de même couleur forment le soubassement. La commune de Kléber perçoit annuellement un droit fixe de 3 000 francs et un franc pour chaque mètre cube de marbre exporté. Le mètre cube se vend en moyenne 800 francs. Pour arriver à ces carrières on a tracé dans la montagne une large route qui, partant du village, aboutit, après de nombreux zigzags, aux normes blocs que de gros chariots, à roues basses et larges et traînés par dix ou douze mulets et chevaux, transportent à Oran. On connaît le grand dépôt qui se trouve près de l'hippodrome de St Eugène.
On aurait même découvert un gisement de mercure ; mais le chasseur qui en rapporta une pierre ne put retrouver l'endroit du filon, quand on se fut aperçu de la valeur de ce métal.
Non loin de la chapelle à 6 kilomètre de Kléber, on a construit un Sémaphore qui communique avec les ports d'Oran et d'Arzew. Ce monument a le défaut de se trouver souvent au-dessus des nuages et des brouillards, en hiver surtout, et de ne rendre aucun service pendant une partie de l'année. Grâce aux puissantes lunettes dont il est doté, on aperçoit par beau temps, les côtes d'Espagne et les Baléares. Un fil télégraphique le relie directement à Arzew et à Kléber, enfin, la commune de kléber est limitée par les caps Carbon et Ferrat. C'est sur un de ces points extrêmes que se trouve le rocher pyramidal, appelé Pointe de l'Aiguille, sur lequel on construit en ce moment un phare d'une certaine importance, qui éclairera le port d'Oran.
Donc au point de vue hydrographique, minier et agricole Kléber présente des avantages qu'on chercherait vainement ailleurs.
Passons maintenant à la fondation du village. Sur ce point les documents font défaut. Il faudra nous contenter des témoignages oraux recueillis de la bouche des premiers colons survivants. Cinquante cinq ans se sont déjà écoulés et l'âge de ces témoins ne permet pas de relater des souvenirs nombreux et précis. A cette époque ils étaient encore bien jeunes. Ce qu'ils savent, ils le tiennent de leurs pères aujourd'hui disparus.
Le centre de kléber fut peuplé en trois fois : d'abord en 1848 dès la fondation du village ; ensuite en 1851 pour remplir les vides occasionnés par la mort et le rapatriement de plusieurs colons ; enfin en 1871 par quelques Alsaciens-Lorrains qui avaient opté pour la France. Nous parlerons surtout de la première qui fut la plus importante des trois. Mais auparavant, voyons si Kléber n'a pas succédé à quelque cité romaine ou arabe.
Il est à peu près certain que l'emplacement sur lequel on a construit Kléber n'a jamais été occupé avant 1848. On n'y retrouve aucune ruine romaine ou arabe. Le voisinage de St Leu, Portus Magnus, alors ville florissante et peuplé ne permet pas de supposer un établissement romain à quelques kilomètres de cette cité. Tout au plus peut-on supposer l'existence d'un latifundium ou grande ferme. Mais puisque les Romains ont exploité les carrières de marbre, ne fallait il pas quelque dépôt au pied de la montagne ? Et on pouvait-on mieux placer ce dépôt qu'à Kléber? La réponse n'est pas facile. Peut-être les Romains se servaient-ils de la voie de mer pour transporter les marbres à Portus Magnus ou à Rome. Dans ce cas il leur était facile de construire un plan incliné jusqu'à l'anse de Christel où leurs bateaux pouvaient s'amarrer. Vu la configuration des lieux, la seule voie praticable par terre est celle qui existe aujourd'hui, à savoir une large route taillée dans la montagne et sur les bords de ravins d'une profondeur vertigineuse. Du côté de la mer, d'oran et de Kléber la montagne grise s'élève à pic à une hauteur effrayante. Il n'est pas possible de trouver une autre issue. Il paraît donc vraisemblable que ces énormes blocs étaient dirigés sur Christel.
On n'a pas découvert non plus des traces d'un village ou douar arabe. Les Arabes, en prenant possession de l'Afrique du Nord choisirent les anciennes cités romaines, où ils pouvaient s'installer à peu de frais, dans ces demeures antiques pour la plupart solidement construites. Nous savons que les Arabes choisissent de préférence la proximité des cours d'eau. Or, avant la découverte de nouvelles sources, en 1860 et depuis, Kléber ne possèdait point d'eau potable, à tel point que des géographes ont appelé ce village le Pays de la Soif. On comprend dès lors pourquoi nulle agglomération ne soit venue s'y établir.
Un grand nombre des villages existaient déjà dans les trois provinces quand on se décida à fonder Kléber. En 1848 à la fin du règne de Louis-Philippe, la seule province d'Alger possèdait 44 centres peuplés de 12O OOO colons. Mais celles de Constantine et d'Oran demandaient aussi leur part; Le gouvernement pensa avec juste raison qu'il fallait songer à elles. Par sa position privilégiée, à l'entrée de la Méditerranée, en face de l'Espagne, à quelques heures de Gilbraltar et de Marseille, Oran ville commerçante et déjà peuplée, attirait les regards. La réddition d'Abd-el-Kader mettait fin à la guerre et assurait la tranquilité. On pouvait donner dès lors une extension sérieuse à la colonisation. Le général de Lamoricière, de gouverneur d'Oran était devenu ministre de la guerre, il avait à coeur de peupler sa province de prédilection. Il fit rechercher les emplacements pour de futurs centres, et la riche plaine du littoral qui s'étend d'Oran à Arzew attira l'attention des topographes.
Au bas de la montagne du Djébel-Ourous se trouvait un chemin couvert par les taillis épais, il conduisait d'Oran à Arzew par Christel et servait au passage des troupes. On l'appelle encore le sentier de la guerre et il en existe des tronçons ombragés de vigoureux lentisques. On jugea cet emplacement favorable et on résolut de la peupler, il fallait pour cela trouver l'argent nécessaire, le gouvernement provisoire de 1848 publia une déclaration promettant de seconder le gouverneur général de l'Algérie dans l'oeuvre colonisatrice. Un décret du 19 septembre 1848 ouvrit à cet effet, au ministère de la Guerre, un crédit de 5O millions. Cette importante somme devait être imputée sur les budgets de 1848-1849 et années suivantes. Elle devait être employée exclusivement à la fondation et à l'entretien des colonies agricoles nouvellement fondées en Algérie.
A la date du 27 septembre 1848, le ministre de la guerre publia un arrêté permettant d'accueillir les demandes des futurs colons. Ils se présentèrent nombreux, plusieurs même avaient déjà demandé une concession de terrain sans attendre la promulgation de décret. Les soldats récemment rapatriés, racontaient des merveilles sur cette nouvelle colonie, c'est ce qui explique qu'un nombreux détachement avait été organisé dès 1846 pour St Cloud. Un décret du 4 décembre avait érigé ce nouveau centre en commune, ainsi que St Leu.
Partis de Paris le 8 octobre, les colons y arrivaient à peine à la date du 4 décembre qui organisait la commune de St Cloud. De cette époque part la fondation de Sté Léonie et de la Stidia. Les futurs colons de Kléber, ne s'embarquèrent que deux ans plus tard. Ce contingent ne fut prêt que le 15 octobre. A Bercy, des bateaux plats les attendaient, les l'uns étaient destinés aux émigrants, les autres au bagages.
L'Archevêque de Paris, Mgr de Quelien, avait béni et harangué les futurs colons de St Cloud, le ministre de la guerre, général de Lamoricière, leur avait promi bonheur et prospérité dans leur nouvelle patrie.. Nous ne pouvons affirmer que les colons de Kléber reçurent eux aussi la bénédiction du prélat et les encouragements du ministre. Ils quittèrent Paris et remontèrent la Seine. Le riche et merveilleux pays qui se déroulait sous leurs yeux leur faisait oublier l'incommodité des bateaux qui les transportaient. La Seine fut remontée jusqu'à Moret ; on entra ensuite dans le canal du Centre : de forts chevaux remorquaient les bateaux. Bientôt on atteignit la Saône à Châlon. Voyage long et pénible. Parfois les chevaux fatigués refusaint d'avancer. D'autres fois on faisait des haltes assez longues et nos voyageurs en profitaient pour aider aux vendanges de la Côte d'Or et mangaient les raisins qu'on leur donnait en abondance. Le bateau à vapeur qui les attendait à Chalon les porta en quelques heures à Lyon. Le séjour des émigrants dans cette grande ville fut assez court, et peu après ils remontaient sur un autre vapeur qui devait les conduire à Arles. De là, le chemin de fer tout nouvellement construit leur permit d'atteindre Marseille. Le Cassique, transport de l'Etat, les y attendait, il mit bientôt la voile pour Arzew. Le voyage de Paris à Marseille avait été assez rapide ; de Marseille à Arzew, il dura plus de dix jours, partis de Paris le 15 octobre, nos courageux colons arrivaient à Arzew le 2 novembre. Le mauvais temps, le mal de mer et aussi le souvenir du foyer déserté contribuaient à jeter un long voile de tristesse sur les passagers du Cassique.
7 - L 'Arrivée à ARZEW
On débarqua enfin sur cette terre d'Algérie, objet des rêves de nos voyageurs, sujet continuel de leurs conversations à bords du bateau qui les amenait. Arzew est devant eux. Ce n'est pas la ville d'aujourd'hui, riche et prospère qu'ils trouvent, mais un camp. C'est à peine si quelques baraquements existaient dans ce port encore peu peuplé. L'Eglise elle-même n'était qu'un petit édifice en bois recouvert de planches mal jointes.
Où étaient les élégantes flèches des clochers de Paris et les coquettes églises des environs ? Ils eurent le coeur sérré à la vue de tant de pauvreté. Mais leur tristesse augmente encore quand, pénétrant dans l'église, leurs yeux tombèrent sur un cercueil. Quel triste augure ! était-ce un jeune soldat ? Etait-ce un colon que la maladie, la misère ou le désespoir avaient terrassé. Un habitant leur fit remarquer qu'on était au 2 novembre fête des trépassés. Dans leur longue traversée à la voile, nos émigrants avaient perdus toute notion du temps.
Malgré la saison hivernale, le temps était chaud ; un clair soleil trop piquant pour ces hommes du Nord et de la Picardie, produisait au milieu de l'hiver une atmosphère fatigante. La soirée étant trop avancée, il fut décidé de passer la nuit à Arzew. Le départ définitif remis au lendemain ne put avoir lieu que le 11. Logés dans des baraquements en bois, les malheureux émigrants passaient les nuits et les jours dans la tritesse. Pas de vie, pas d'animation dans cette garnison. On y entendait que les cris aigus du chacal et le qui-vive nonotone des sentinelles.
8 - En route pour KLEBER
L'aube du 11 apparut enfin. Les futurs colons se mirent en route pour Kléber. Le soleil gai et chaud de l'arrivée était caché par des nuages opaques et cuivrés ; la tempête s'annoncait térrible, et c'est sous les rafales d'un vent violent que les hommes avancaient péniblement sur la route récemment tracée d'Oran à Arzew. Les femmes et les enfants trouvèrent place sur des prolonges, au milieu des meubles et des ustensiles nécessaires aux ménages.
Le convoi arriva bientôt à Ste Léonie, centre fondé depuis deux ans par des allemands enrolés pour l'Amérique du Sud puis abandonnés à Dunkerque. Ce centre manquait d'eau potable, et la pestilence du ravin, une nourriture peu substantielle, le manque de récolte, la fièvre paludéenne contribuaient à décourager ces hommes du nord. La vue de ces colons au visage have, la désolation de leur champs en friche n'étaient pas de nature à encourager les nouveaux débarqués. Ils avaient rêvés d'une terre saine et fertile et ils n'avaient sous les yeux que le désert dans toute son horreur, sans eau, sans verdure, sans ressource. C'était le pays de la fièvre, de la misère et du désespoir.
A Sainte Léonie le convoi quitta la route nationale pour s'engager dans le sentier qui conduisait à Kléber ; on y avait enlevé seulement les grandes broussailles ; mais les palmiers tenaces et les troncs noueux des lentisques barraient le passage. Les prolonges marchaient donc lentement, cahotant à droite à gauche. Ajoutez à ce voyage la vue des montagnes sombres couronnées de noirs nuages et vous comprendrez le mot qui circulait de bouche en bouche : l'enfer ! On nous mème en enfer. Plusieurs cherchèrent dès ce moment, le moyen de retourner au plus vite dans la mère patrie. Où étaient les belles promesses du gouvernement , Qu'elle triste réalité après les rêves entrevus !
9 - KLEBER 11 NOVEMBRE 1848
On arriva enfin sur l'emplacemnt préparé par la fondation de Kléber. Le génie avait choisi d'anciennes charbonnières arabes. Le terrain était sec, pierreux et situé entre deux ravins. Les soldats avaient coupé au ras du sol les jujubiers et les lentisques. Sur le point central du village, devenu depuis la place de l'église, des baraquements en bois avaient été construits. Trois rangées de baraques s'élevaient depuis le haut de l'église jusqu'à la fin de la place actuelle. Ces baraquements formaient 42 maisons de colonie destinées à contenir au moins deux familles. Les lots furent tirés au sort.
La demeure des colons était une simple chambre de 20 mètres carrés environ, percée de deux ouvertures. Les cuisines étaient à part, en dehors des baraquements. On comprend sans peine tout ce qu'avait d'incommode cette union de deux familles sous un même toit. Rien de plus ennuyeux encore que de courir hors de la maison pour faire la cuisine du ménage.
10 - L'INSTALLATION
Les colons furent promptement installés. Les chacals et les lièvres venaient chercher un gîte sous les baraques ou dans les touffes d'alfa qui entouraient encore ces demeures. On les explusa, non pas à coups de décret, comme de vulgaires capucins, mais à coup de fusil et de matraque. Puis il fallut bien s'enquérir du premier repas que l'on ferait, de l'eau nécessaire. Le bois abondait alors comme aujourd'hui. L'officier chargé de l'installation des colons commença la distribution des vivres : pain, légumes secs, viande, un quart de vin. Cette distribution s'opérait de la façon suivante : un enfant faisait l'appel des colons par lettre alphabétique. Le chef de famille recevait de l'officier une portion de vivres pour deux jours. Cet officier était consciencieux et il lui arriva bien rarement de faire quelque préférence pour tel ou tel colon. Le pain de munition venait d'Arzew, sec,mal levé et peu cuit, il était à peine mangeable. La viande n'était ni bonne ni abondante. Les légumes enfin cuisaient difficilement soit à cause de leur qualité inférieure, soit de l'eau saumâtre que l'on employait.
11 - LE PAYS DE LA SOIF
L'eau ! si encore elle avait été abondante. On a peine à le croire ; dans ce pays où, depuis on a découvert des sources d'une abondance extraordinaire capable d'alimenter plusieurs villages, on a manqué de l'eau nécessaire. C'était bien le trou du chacal et le pays de la soif. Comment expliquer que le génie ait fondé un centre dans un lieu aussi complètement dépourvu d'eau potable ? Un puits existait cependant, mais il était peu abondant et éloigné. Ce puits nommé Féray ou Ferré, du nom de l'officier qui l'avait fait creuser, ou plutôt, à cause de l'eau ferrugineuse qu'il donnait, existait encore il y a quelques années. Il était situé sur la berge du ravin, au N E du village.
On avait tellement peur de manquer d'eau en été qu'un factionnaire fut placé près du puits pour le garder nuit et jour. Défense expresse était faite de prendre plus de deux bidons d'eau par famille et par jour.
12 - CHEPTEL ET MATERIEL
Le gouvernement avait promis de donner un cheptel aux colons. Or, sait-on lequel ? chaque famille reçut un boeuf et une truie. Voilà quelle était la base du cheptel des habitants de Kléber. Bien entendu, on ne pouvait garder ces bestiaux dans les baraquements. On construisit dans le nord du village une étable commune. Cette étable fut appelée le Camp des bouviers. Des soldats avaient la garde du bétail, des charrues et des carrioles que le camp contenait. La charrue appartenait à deux familles. L'une et l'autre de ces familles joignaient le boeuf que chacune possédait pour effectuer les labours; c'était un peu l'histoire des soeurs Gorgone qui, n'ayant qu'un oeil pour elles trois se le prétaient mutuellement. Les carrioles étaient très peu nombreuses et servaient à l'usage de plusieurs familles. C'est avec un attelage de boeuf que nos premiers colons allaient à Arzew, à Oran et même à Mers-el-Kébir, pour rapporter les matériaux de construction débarqués dans ces ports.
13 - LA VIE S ORGANISE - Le premier Pain
Le gouvernement avait fait distribuer des grains de semence. Il tardait tant aux colons de récolter du blé et de manger de leur pain. Malheureusement, la première récolte fut maigre. Le blé et le seigle produits par nos colons furent cependant accueillis avec joie. Vite on sempressa de porter ce grain au moulin à vent de Ste Léonie. Quand on eut de la farine on n'eut pas de four pour cuire le pain. Comment faire ? on mit la pate sur la pierre surchauffée de l'âtre, puis on plaça par dessus une marmite militaire renversée, on rapprocha les charbons tout autour et par dessus la marmite, et on en retirait un pain à demi cuit mais qui valait mieux cependant que le pain distribué par le gouvernement et qui arrivait d'Arzew tous les trois jours. Entre temps, les colons défrichaient leur terrain avec ardeur. Deux, dix ou douze hectares formaient, avec 20 ares de jardin, la portion attribuée aux nouveaux habitants de Kléber.
Bientôt le génie eut construit les maisons composées de deux chambres et d'une petite cuisine. Ces maisons basses paraissaient peu saines. Aujourd'hui elles ont à peu près disparu, mais alors elles marquaient un immense progrès sur les baraques de bois du début de l'installation. La cour qui entourait la maison permettait l'élevage des volailles et du bétail, de faire même un peu de jardinage. Les légumes, en effet, formaient une nourriture agréable au moment où le riz et les haricots de l'administration étaient à peu près l'unique nourriture des colons. Malgré l'impartialité des officiers dans la distribution des vivres, il s'élevait quelques mumures. L'administration colonialle crut bon de remplacer ces distributions par un paiement quotidien de 0F50 par colon. C'était bien peu pour acheter une nourriture substantielle et combattre les nombreux accès de fièvre des habitants. Aussi les maladies se multiplièrent et amenérent le découragement . Jetés sur une terre nouvelle, sous un climat brulant, éloignés de tout autre centre, les colons se découragèrent.
14 - MALADIES ET DECOURAGEMENT
Les maladie et les fièvres vinrent s'ajouter à l'inclémence des saisons et à la chaleur torride du premier été. Le gouvernement avait bien adressé une instruction hygiénique qui, bien observée, aurait évité bien des maladies. Datée du 2 avril 1847, cette instruction donnait de sages avis. En voici le résumé : 1° choisir une habitation bien aérée éloignée des marais ; 2° porter des vétements amples, légers, de nuance claire, d'un tissus préservant à la fois de la chaleur et du froid ; 3° tenir la peau propre ; 4° s'abstenir des excés de tout genre, surtout dans le boire et manger, ne pas user de liqueurs alcooliques et maitriser la soif ; 5° faire une heure de sieste par jour ; 6° ne pas négliger une indisposition et recourir au médecin dès le début de la maladie. On ne tint pas compte de ces prudents conseils. Ainsi les fièvres vinrent-elles s'abattre sur la généralité des colons Le découragement s'accrut encore lorsque les ouvriers d'art eurent fini les constructions.
15 - LA CONSTRUCTION DU VILLAGE
Ces ouvriers étaient venus avec les colons pour s'employer aux travaux d'utilité publique. Il y avait des artistes parmi eux. L'Eglise de Kléber posséde un bénitier de pierre qui sert actuellement de baptistère, finement sculpté par M Martin, statuaire venu en 1848; Ce furent ces ouvriers d'art qui construisirent les maisons de colonie au nombre de 102. Le presbytère, dont une partie ancienne existe encore, fut la première construction. Les colons chrétiens désiraient avoir au plus tot un prétre parmi eux. Puis ce fut le tour de l'école qui était alors sur l'emplacement actuel de la poste. Une chambre, située près de l'école actuelle des garçons, servait d'Eglise. La construction de celle-ci avait été remise à plus tard. M. le Curé de St Leu venait quelques fois célébrer la saine Messe, chanter les services et baptiser. Ce fut deux ans plus tard après la fondation du centre de Kléber que l'on commença l'Eglise actuelle. Les murs étaient déjà d'une certaine hauteur lorsqu'ils s'écroulèrent. La cause en était au peu de profondeur des fondations ou à un de ces soulèvements du sol, assez fréquents en Algérie. On en reprit la construction sur des bases plus solides. Des fondations que l'on voit encore à fleur de terre indiquent qu'on avait voulu d'abord faire de chaque côté du sanctuaire une chapelle latérale. L'Eglise aurait eu alors la forme d'une croix romaine.
Tant que les ouvriers d'art furent occupés à la construction des maisons et de l'Eglise, tout alla bien. Mais tout ceci terminé, que pouvaient ils faire ? Ils ne savaient pas manier la charrue, aussi plusieurs pensèrent ils à quitter le pays. Ceux qui possédaient un petit pécule n'attendirent pas leur rapatriement. Quelques-uns demeurérent sur la concession qu'ils avaient obtenue le temps exigé par la loi, puis, ayant rendu leur terrain, ils retournèrent dans la mère patrie. D'autres enfin, bien qu'igorant la culture, se mirent résolument à l'oeuvre, ensemencérent leurs concessions et sont devenus d'aisés propriétaires, de maçons, menuisiers qu'ils étaient lors de leur arrivée à Kléber.
Tels furent les premiers commencements de ce village. Débuts modestes, souffrances, maladies, défrichements pénibles, tout montre l'énergie, les labeurs déployés par ces premiers colons. Le centre de Kléber est fondé ; il se développera peu à peu conne nous allons le voir.
16 - FAUNE ET CULTURES
Disons quelques mots de ses cultures et de sa faune avant de relater les événements civils et la fondation de la paroisse.
Nous avons vu plus haut avec quelles difficultés les colons défrichérent les alentours de Kléber. Le manque de bétes de trait, les fiévres, l'inexpérience d'un grand nombre, la sécheresse, tout contribuait à ralentir leurs efforts. Craignant que le blé tendre ne vint difficilement , on sema du blé dur. Toutefois le pain qu'ils firent leur parut délicieux à côté du pain de munition que les enfants pouvaient à peine manger. Les légumes réussirent assez bien, les graines étaient de qualité inférieure et l'eau d'arrosage faisait défaut. Tous les efforts des émigrants se portèrent dès lors sur les terrains non défrichés. Les enfants restaient seuls à la maison. Il fallait se méfier encore des Arabes à peine soumis et qui inspiraient beaucoup d'effroi.Pendant le jour, on s'écartait peu du village, et la nuit on ne franchissait pas certaines limites assignées. Dés le début on planta quelques pieds de vigne. Ce furent d'abord des cépages indigénes. Mais par plaisanterie ou méchanceté, les premiers pieds plantés en dehors du village furent arrachés. On attendit longtemps pour essayer des plantations nouvelles. Depuis la vigne a gagné du terrain; mais le phylloxéra a fait de grands ravages. On s'occupe activement à reconstituer le vignoble avec des plants américains. Il existe dans ce but plusieurs pépiniéres.
En 1852, le capitaine Pécout dota le village de quelques arbres, on n'avait encore essayé aucune essence d'agrément ou fruitiére. Chaque famille reçut un pied de Bellombra qui devait être planté dans la cour. Ils ont tous disparu. Plus tard on planta les eucalyptus qui ornaient la place de l'Eglise, il y a une quinzaine d'années. Ceux qui abritent les fontaines extérieures des boulevards du sud et de l'ouest, datent de la même époque. Depuis, de magnifiques plantations d'oliviers et d'ormeaux, de trembles, de ficus, de palmiers ont fait du village un bouquet de verdure. Le gracieux jardin public qui se trouve devant l'Eglise avec un jet d'eau et la grande place asphaltée, cloturée par un mur en pierres surmonté d'une grille en fer, ombragée de ficus, de palmiers, avec des bancs en marbre et deux colonnes en marbre rouge à l'entrée, don de Mr DEL MONTE, sont dus au marie actuel, Mr CHANSON.
En ce moment, décembre 1906, on arrache les ormeaux et les trembles pour les remplacer par des oliviers, des ficus ou des palmiers. La pépinière communale située au nord du village, le long du ravin contient une grande quantité d'arbres de toute essence. Un grand abreuvoir, des lavoirs, des bassins laissent couler une grande quantité d'eau qui se perd dans le ravin. Pour être complet, signalons les nombreuses bornes-fontaines et les prises d'eau dont sont pourvus tous les bâtiments communaux et quelques maisons particulières;
Quand les premiers colons s'établirent à Kléber, il y avait encore des lions dans les massifs du Djebel Ourous. Ces dangereux voisins ont disparu. Les sangliers autrefois nombreux sont devenus rares, ainsi que les gazelles. On y rencontre cependant des hyénes, des chacals, des porcs-épics, mais ces animaux n'attaquent pas l'homme et ne sortent que la nuit.Les lentisques récélent encore des lynxs, des chats sauvages, des gerboises et les autres animaux de l'Afrique du Nord. Autrefois aussi les concessions étaient infestées de serpents. La fameuse vipére-minute était si commune qu'on lui avait donné le nom de vipère d'Arzew; Le musée d'Oran en présente un spécimen d'une taille étonnante. Elle est devenue très rare, grace aux troupeaux de porcs qui les détruisent lorsque la fraicheur les engourdit sous les taillis.
17 - PRINCIPAUX EVENEMENTS CIVILS (depuis la fondation de Kléber jusqu'à nos jours)
Nous avons dit que la premiére arrivée des colons de Kléber eut lieu en novembre 1848; Le deuxiéme convoi en 1851. Enfin, après la néfaste guerre de 1871 quelques Lorrains vinrent s'y fixer. Donc trois émigrations ; la première composée de Parisiens ou originaires des départements voisins de la Capitale, la deuxiéme composée de colons venus surtout de la Picardie et du Var, et enfin la troisiéme d'Alsaciens-Lorrains.
Au début l'administration était toute militaire. Un lieutenant résidait à Kléber, distribuait les concessions, s'occupait des premiers défrichements. C'est lui qui fit édifier les baraques de planches puis, construire les maisons de colonie. Le nom de cet officier ne nous est pas connu. Il avait choisi le siége de son administration sur l'emplacement actuel de la maison Theuvenot-Delorme. Le lieutenant Labadens gouvernait Kléber quand le choléra éclata en 1851. Le nombre de décès cette année là, fut de 17 dit l'auteur de la monographie. Il commet une erreur. En 1851, il n'y eut que 5 décès contre 33 baptémes et 7 mariages. Pour chasser la peur de la contagion, le lieutenant Labadens eut l'idée de donner un bal. Le résultat ne fut pas brillant, le lendemain sept personnes furent atteintes du choléra. Guérirent-elles ? Succombèrent-elles ? Nous l'ignorons. Encore une fois les registres ne signalent que 5 décés pour 1851.
Le Lieutenant Ollivier succéda au Lieutenant Labadens. Un décret du 11 février 1851 constitua les colonies agricoles et fixa l'étendue du territoire de Kléber à 1266 hectares. L'officier commandant reçut le pouvoir d'accomplir les formalités du mariage. Jusque là; il fallait aller à Arzew pour les actes de l'état civil. Un décret du 18 juin 1852 réorganisa les colonies agricoles et mit à la tête de celle de St Cloud le Capitaine Jean Malafaye. C'était un catholique ardent et administrateur distingué. Il gouvernait Kléber, St Leu, Damesme et Méfessour. Au capitaine Malafaye succéda le capitaine Pécaut. Le gouverneur général nomma Mr Suret Maire de la colonie agricole de Kléber pour entrer en fonctions le 1er juillet 1851. Trois ans plus tard le 2 juin 1854 le maréchal Vaillant, ministre de la guerre, prit en arrêté pour fixer les alignements et les nivellements du village de Kléber. St Cloud devint commune en 1856, kléber forma une section de la commune, et le 1er juillet 1857 Mr Suret fut nommé adjoint au maire de St Cloud pour la section de Kléber.
Le 20 mai 1866, l'Empereur Napoléon III passa près de Kléber en se rendant d'Oran à Mostaganem, il s'arréta sur le bord de la route nationale à 4 km du village. Un bouquet de pins indique l'endroit où les tentes furent dressées. Ce lieu s'appelle encore "la halte de l'Empereur". La plus grande partie de la population alla saluer le Souverain. Enfin, le 21 septembre 1870, Kléber devint commune de plein exercice et eut pour territoire une étendue de 4008 hectares pris sur les communes de St Cloud et d'Arzew. Depuis ce jour, Kléber a été administré par Messieurs Lacombe, Amand, Sechepine, Pierre David et Chanson. Ce dernier est à la tête de la municipalité depuis 14 ans. Il a fait tous ses efforts pour doter le village d'améliorations utiles, eau de source, mairie, télégraphie, école enfantine
Telle est l'histoire abrégée du centre de Kléber.
3 - CONVOIS DE 1848 - 2ème CONVOI
Il partit de Paris, du quai Saint-Bernard et non plus du quai de Bercy comme ce fut le cas pour le premier convoi, ceci afin de réduire la distance pour l'embarquement des colons à pied et le transport des bagages. Le colon, après avoir reçu une carte blanche où figurent son nom, son numéro matricule et le détail des nembres de sa famille qui l'accompagnent ; il reçoit également un feuillet d'instruction précisant l'organisation des péniches et certains aspects de la vie à bord. Les familles désirant voyager ensemble se présentent en même temps au bureau d'embarquement Elles auront des places à bord du même bateau Le problème des bagages réglé, chaque famille ou célibataire doit échanger sa carte d'embarquement contre un billet rose qui comprend outre les renseignements usuels les numéros du bateau et des places assises. Sur le quai des tentes ont été dressées pour protéger les colons contre les intempéries éventuelles avant d'obtenir l'autorisation d'accès aux péniches, mais les familles nombreuses ont pu coucher dès le premier jour d'embarquement.
Au milieu de cette foule aux visages tendus des voyageurs ceux qui ont déjà "fait un congé" en Afrique, c'est à dire obtenu à l'issu du service militaire : par extension de ce service lui-même, sont très entourés et crânent quelque peu.
Tôt le matin du dimanche 15 octobre les derniers colons s'embarquent. La foule des parents et amis, des badauds, des milliers de spectateurs s'agglutinent sur le quai, les rives et ponts de la Seine. Femmes et enfants des colons se pressent aux lucarnes des chalants tandis que les hommes assis ou debout sur les toitures inclinées des cabanages se préparent à la cérémonie qui va se dérouler.
La musique du 18ème de ligne s'embarque sur le remorqueur "Neptune" et joue des marches entrainantes.
Le trait de chalands est formé : ceux-ci sont solidement reliés les uns aux autres puis au remorqueur à vapeur qui fera la traversée de Paris. Une dernière vérification de l'attelage et le maître de coche et le charpentier commis à la vérification des bateaux regagnent le "Neptune".
Les officiels sont rassemblés face aux sept bateaux. Après le discours de Monsieur le Ministre de la Guerre, le drapeau de la colonie est remis à Jean Prudhomme (qui ira à Kléber), qui a servi dans la ligne. Après une courte homélie, l'abbé Durand, de la Salpétrière bénit l'emblème et le convoi. Le drapeau de la colonie est accroché au fronton du cabanage de l'Etat Major qui comprend : M. Sauvage Capitaine des Chasseurs à pied, M Ribes chirurgien aide major au Gros Caillou, M Héricourt Officier d'administration.
L'heure du départ arrive, 10 heures, les officiels embarquent sur le "Neptune" pour une dernière escorte. Des petites embarcations pavoisées circulent à grands risques à proximité du convoi qui avance lentement grâce aux 50 CV de la machine du remorqueur qui actionne les roues à aubes.
Nos colons ont pris place dans ce qui sera leur logement jusqu'à Châlons. Les Chalands, sont aménagés pour recevoir, dans une longueur utile de 20 mètres et 4 de largeur environ, 180 personnes, hommes, femmes, enfants de plus de deux ans, les enfants en bas âge ne sont jamais comptés.
L'espace libre du chaland est divisé en quatre compartiments : à l'avant, une cabine pour la cuisisne du bord et les réserves alimentaires, à l'arrière, du logement pour le service de l'équipage, deux chambres de 90 personnes aménagées sur une longueur de 17 mètres au plus. Elles sont éclairées la nuit par deux quinquets fumeux, dans leur longueur ont été installées quatre rangées de banquettes de 55 cm de largeur, deux adossées aux bords pour les femmes et enfants, deux autres au milieu avec dossiers pour les hommes. Elles servent de sièges et de lits. C'est à dire, que de Paris à Châlons les colons ne dormiront guère.
Au dessus des banquettes et aux deux tiers de la hauteur du baraquement sont placées horizontalement des planches formant soupentes, sur lesquelles on entasse de menus bagages
L'inconfort sera plus grand encore par temps de pluie, le jointoyage des cabanes n'étant pas parfait. L'atmosphère devient alors irrespirable, pour purifier l'air certains brûlent du Genièvre. L'aération du baraquement se résume à deux portes, à l'avant et l'arrière, et des vasistas tous les 3.24 mètres.
Le voyage en péniche prend fin à Châlon, d'où on achemine les colons par bateaux sur la Saône jusqu'à Lyon, puis par le Rhône jusqu'en Arles. C'est par le tout nouveau moyen de transport qu'est le chemin de fer que le voyage se termina à Marseille. L'accueil des colons dans les villes traversées ne fut pas toujours très dignes de compatriotes, les gens des campagnes furent plus aimables.
Arrivés à Marseille le dimanche 29 octobre, ils en repartaient sur la frégate "le Cacique" le lundi 30 après l'arrimage des bagages, l'intendant fit l'appel des colons. A 10 heures, le "Cacique" appareilla.
Le mardi 31 octobre, les côtes d'Espagne sont visibles à bâbord. Beau temps, forte brise. A 3 heures, Mme Perichon accouchait d'un garçon : Perichon Honoré Cacique, fils de François Martin, conducteur de travaux âgé de 35 ans, domicilié à Paris rue Stuard, et de Boncorps Louise Catherine Félicité, 28 ans (N° 636, c'est leur 1er enfant, le couple demeurera à Arzew).
Jeudi 2 novembre, par beau temps, à 5 heures du matin la terre est en vue. Le navire est gouverné pour prendre la mouillage d'Arzew. Dès 8 heures, on entreprend le débarquement des colons et des bagages. A 11h30, l'opération est terminée.
C'est à Arzew que nos colons furent répartis dans les différentes colonies agricoles. Le convoi comprenait en principe:
C'est à pied et avec les chariots de l'armée, réservés aux femmes, enfants et bagages, que les colons rejoindront dans les jours qui ont suivi leur arrivée, les centres de colonisation où ils ont été affectés
La population de Kléber se répartissaint en 67 familles de :
personnes | 2 | 3 | 4 | 5 | 6 | 7 | 8 | célibataires |
familles | 15 | 13 | 19 | 12 | 3 | 3 | 2 | 17 |
et 13 enfants de moins de 2 ans compris.
Parmi ces colons se trouvaient des professions très diverses :
1 - Architecte | 1 - Garçon de restaurant | 1 - Peintre/porcelaine |
2 - Bonnetiers | 1 - Graveur | 1 - Peintre |
1 - Charron | 1 - Horloger | 4 - Peintres en bâtiment |
1 - Coiffeur | 2 - Imprimeurs | 1 - Doreur |
1 - Conducteur en maconnerie | 1 - Instituteur | 1 - Pharmacien/herboriste |
2 - Cordonniers | 1 - Jardinier | 1 - Plombier |
2 - Corroyeurs | 1 - Journalier | 1 - Potier d'étain |
10 -Cultivateurs | 1 - Maçon | 1 - Relieur |
1 - Dessinateur en châles | 1 - Marchand en vin | 1 - Sculpteur |
1 - Domestique | 1 - Maréchal ferrand | 1 - Sellier |
1 - Doreur sur bois | 1 - Mécanicien | 3 - Serruriers |
2 - Ebénistes | 8 - Menuisiers | 1 - Serrurier en voiture |
1 - Emailleur | 5 - Militaires en congé | 1 - Tailleur |
1 - Employé | 1 - Nourisseur | 2 - Terrassiers |
1 - Fondeur | 2 - Papetiers | 11 - Professions non définies |
1 - Forgeron | 1 - Parfumeur |
Arrivés dans leur "Colonie Agricole", ils furent logés par l'armée dans des tentes, des baraques en bois pour centains en attendant la construction de leurs maisons.
L'état des cabarets établi le 14 février 1848 indique que celui de Delorme et Person est établi dans la maison servant de salle de bal ; chez Blot il s'agit d'une habitation en dys, Poulain abrite le sien dans une baraque et Richar ne dispose que d'un gourbi.
Voici l'état des lieux du 25 avril 1849 :
Maisons terminées | 2 | Maison du Directeur, Ambulance |
Maisons à construire | 5 | Gendarmerie, Mairie, Ecole, Eglise, Presbytère |
Maisons de familles terminées | 57 | |
Maisons de familles à construire | 11 | |
Maisons de celibataires a construire | 23 | |
Points d'eau | 4 | |
Arbres | 250 |
Nombre de colons :
Devant réussir | Présentant des chances | Ne réussiront pas malgré leur bonne volonté | Oui ne feront rien | A évincer |
27 | 40 | 13 | 8 | 3 |
"Le terrain est bon et propre à la culture, le sol est facile à défricher et des ordres sont donnés pour que les colons préparent chacun 50 trous pour planter des arbres...."
Mais le choléra ne manquera pas de faire son apparition : 35 civils et 4 militaires en seront victimes dès 1849.
- Extraits des Textes des Cahiers de la Batellerie N°18 & 19
"En chaland de Paris à Marseille en 1848" de Simone et Emile Martin-Larras.
Du 1er juillet 1852 au 22 septembre 1870, le Magistrat était nommé par Monsieur le Préfet, comme Adjoint au Maire de Saint Cloud
La première élection eut lieu en 1870 en faveur de Monsieur Henri AMAND
COLONIE AGRICOLE 1848-1906 -- 1906-1962
Population totale ainsi répartie :
Européens | 852 |
Indigènes | 138 |
Total habitants | 990 |
Les décès et les difficultés rencontrées par les colons français, entre autre le phylloxera, ont fait fuir certains d'entre eux.
Dans le périmètre de la commune et à 6 kms au nord de la localité, sur un des mamelons de Djebel Orousse est édifié un sémaphore.
Mr TINTHOINE, directeur des Archives Départementales d'Oran, écrit :
" Kléber apparait comme une petite communauté de petits propriétaires ruraux français assez fermée"
Dans son livre sur Saint-Cloud paru en 1896, Mr FONTANILLES écrit :
" Ce village situé à 7 kms au nord ouest de Saint-Cloud est bâti au pied du djebel Orousse et, est éloigné de toute grande voie de communication. Son isolement semblerait nuire à sa prospérité, mais il a pour lui l'excellente qualité de ses vins, l'exploitation sur son territoire d'importantes carrières de marbre, l'activité et la vigilance d'un jeune Maire instruit et dévoué, nous avons nommé Monsieur CHANSON".
L'abbé MOLIE dans sa monographie de la paroisse de Kléber, datée en 1906 écrit :
" Depuis de magnifiques plantations d'oliviers et d'ormaux, de trembles, de ficus, de palmiers, ont fait du village un bouquet de verdure. Le gracieux jardin public qui se trouve devant l'Eglise avec un jet d'eau et la grande place asphaltée, clôturée par un mur en pierre, surmonté d'une grille en fer (1906), ombragée de ficus, de palmier, avec des bancs en marbre et deux colonnes en marbre rouge à l'entré (don de Monsieur DEL MONTE) sont dus au Maire Monsieur CHANSON".
En 1906, on arrache les ormeaux, les trembles pour les remplacer par des oliviers, des ficus ou des palmiers.
La pépinière communale, située au nord du village, le long du ravin, contient une grande quantité d'arbres de toutes essences.
Un grand abreuvoir, des lavoirs, des bassins laissent couler une grande quantité d'eau qui se perd dans le ravin, de nombreuses bornes fontaines et des prises d'eau sont pourvues dans tous les bâtiments communaux et quelques maisons particulières.
Les bâtiments administratifs sont de 1906, ce que nous avons connus.
La poste actuelle date de 1948.
L' Eglise avait le clocher en bois.
Ecole et Mairie 1906.