DE LA "MONTAGNE DES LIONS" A L OPERA DE PARIS.

UNE EXPLOITATION INDUTRIELLE ASSEZ MECONNUE : LES CARRIERES DE MARBRE TEXTE DE Marc DEL MONTE

Ainsi que Pline l'Ancien, l'avait déjà constaté, le marbre était une des richesses de l'Afrique du Nord qui possédait les marbres les plus variés. L'Oranie renfermait une matière ornementale unique. Elle faisait l'admiration d'Eugène Delacroix qui disait "n'avoir jamais rien vu de plus beau hors les tapis de Perse". Mais ces carrières cessèrent d'être exploitées au IVe et Ve siècles. Il faudra attendre le milieu du XIXe siècle et plus précisément 1840 pour voir leur remise en exploitation par un jeune Florentin : Jean-Baptiste Del Monte.

Qui est-il ? Jean-Baptiste est issu d'une ancienne famille de Florence. Après sa scolarité dans sa ville natale, il s'inscrit à l'Ecole des Beaux-Arts de Carrare. C'est au cours de ses études qu'il découvre l'existence des marbres d'Algérie, restés inexploités depuis la période romaine. Pressentant l'intérêt futur d'une remise en activité de ses marbres précieux, qui allaient revenir à la mode sous le Second Empire, Jean-Baptiste Del Monte arrive en Oranie à la suite des armées de Charles X. Il s'installe dans la ville d'Oran.

Déjà en 1834, sur une population de 3000 âmes, 1500 civils européens vivaient à Oran et trois ans plus tard cette population tripla. Elle était formée d'environ un tiers de Français, d'un tiers d'Espagnols et le dernier tiers d'Italiens, d'Anglais, d'Allemands et de Portugais.

A l'origine, cette cité n'est qu'une petite bourgade portuaire située face à l'Espagne qui sert surtout de refuge au contrebandiers et aux pirates. Au XVIe siècle, les Espagnols entreprennent la conquête de la cité pour mettre fin à la piraterie en méditerranée. Ils rendront ce port actif et commerçant. Jusqu'à l'occupation française, Oran, cité de 25.000 habitants, était le théatre de luttes incessantes qui l'ont fait passer successivement entre les mains des Turcs, des Arabes et des Espagnols.

Cette cité propère fut victime à plusieurs reprises de séismes qui la détruisirent en partie. C'est au milieu des ruines que s'installèrent en 1831 les Français. Il ne subsistait que quelques traces d'édifices espagnols, quelques mosquées récente, les beaux remparts de la nouvelle Casbah, le fort fu Château Neuf. Tout était à refaire ou à créer

C'est dans cette ambiance où il côtoyait des nombreux aventuriers, que Jean-Baptiste Del Monte prospecta le pays pour retrouver l'emplacement des carrières et fit des démarches auprès de l'administration française afin d'obtenir les autorisations d'exploitation. Les premières carrières dont il obtiendra la concession par bail emphytéotique se trouvent à Kléber, commune de Saint-Cloud, dans la montagne du djebel Orousse où Montagne dite des Lions. Il s'agit de carrières de marbre rouge, rosé et bréchiforme. La région était particulièrement sauvage, presque hostile, on raconte que les ouvriers qui exploitaient les carrières devaient se protéger des fauves en utilisant de gros chiens qui portaient des colliers cloutés.

Bientôt, Jean-Baptiste Del Monte rencontre du succès dans cette entreprise et ouvre, en 1855, une seconde exploitation.  Puis il découvre une troisième carrière à Oued-Chouly, entre Sidi-Bel-Abbès et Tlemcen, carrière de marbre rouge et vert, proches de la qualité du porphyre. Les carrières d'Aïn-Tekbalet exploitées dès l'époque romaine ont fourni entre autre, les dalles de la grande salle des thermes de Cherchell, la diane chasseresse, veinée de jaune et rouge du musée de Cherchell. Ces marbres étaient transportés par barges sur la Tafna jusqu'à la mer d'où ils étaient exportés dans l'empire romain Sous domination arabe, ces carrières fourniront des dalles, de larges vasques à ablution, des colonnes pour les mosquées de Telmcen et Mansourah, par la suite toute exploitation cessa. Ce marbre a une grande analogie avec l'albâtre antique des romains et des plus beaux albâtres d'Egypte mais il emporte sur eux par sa dureté et le rend susceptible d'un poli remarquable. Il est d'une belle transparence et d'une grande variété de tons, depuis le blanc pur ou coloré de rose et d'incarnat, de jaune clair et de jaune orange, de brun foncé jusqu'au vert maritime. Jean-Baptiste Del Monte sut parfaitement commercialiser les différents marbres de ses carrières.

Un des plus grands sculpteurs orientalistes français de son époque, Charles Cordier, séduit par la richesse des coloris et la finesse de ces marbres les utilisera pour réaliser ses bustes en sculptures polychromes. Ils seront exposés avec succès au salon des artistes français de 1857 et les onyxs de l'Oranie seront particulièrement appréciès par les amateurs anglais notamment, par la reine Victoria qui se rendit acquéreur d'un buste de Cordier. Récemment, eut lieu à Paris, au Musée d'Orsay, une rétrospective des oeuvres de Charles Cordier qui seront également présentées au Canada et aux USA.

C'est ainsi que l'on retrouve ce marbre utilisé à l'Hôtel de Ville d'Oran comme à l'Opéra du Palais Garnier ou il sera utilisé pour réaliser les majestueuses rampes de l'escalier d'honneur et les statues de Thomas. L'Opéra sera inauguré en 1875 après 13 ans de travaux. Cette prestigieuse commande fit la renommée de l'entreprise de JB Del Monte Elle lui valut la visite du duc D'Aumale, désireux de racheter ses carrières, mais son offre ne fut pas reçue En effet, à cette époque, l'entreprise était en pleine extension, avait des succursales en Europe et exportait ses productions jusqu'en Amérique du Sud.

Par la suite, avec l'apparition de nouveaux matériaux, moins couteux et plus facile à travailler, l'exploitation déclina

Marc DEL MONTE

 

NDLR : Lors de leur séjour à Oran, les Espagnols avaient exploité, pour les colonnes du Palais de la Casbah, un gisement de marbre blanc veiné de bleu pâle, dans une carrière aujourd'hui épuisée, sise à Mers-El-Kébir. Il est curieux de constater que les Turcs n'ont jamais soupçonné les richesses marbières du sol oranien, redécouvertes par Del Monte, et ont toujours acheté, -ne pouvant les razzier - des marbres italiens, au prix fort, pour élever et orner leurs monuments et edifices...

 

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